Maurice TOURNADE
Journaliste caricaturiste
L’AFFAIRE MARIE BESNARD
Récit et Illustrations de Maurice Tournade
Janvier 2000
« L’affaire Marie Besnard » est un roman que Balzac aurait certainement aimé écrire tant la personnalité de « la bonne dame de Loudun», les évènements qu’elle a vécus, le cadre dans lequel ils se sont déroulés, les passions qui les ont animés, l’ambiance des procès ont été, en effet, à la mesure de ces « Scènes de la vie de Province » qui ont nourri « la Comédie Humaine ».
Pour bien comprendre ce qui s’est passé entre la mort de Léon Besnard - le mari de Marie - et l’acquittement de celle-ci, à l’issue de trois procès et de quatorze années de procédure, il me paraît nécessaire de rappeler la chronologie des faits, le plus clairement possible, car il faut se méfier d’une mémoire qui a pu elle aussi être perturbée par ce méli-mélo dramatique :
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Le 25 octobre 1947, Léon Besnard meurt dans son lit.
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Le 2 novembre, Mme Pintou, postière à Loudun, rend visite aux frères Massip et accuse Marie (Besnard) d’avoir empoisonné son mari. L’un des frères, Auguste, s’empresse aussitôt de dénoncer Marie au juge d’instruction de Loudun.
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Le 22 novembre, les gendarmes mènent l’enquête dont la conclusion est la suivante : ».
Mais l’affaire que l’on croyait classée rebondit subitement un an et demi après.
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Le 4 mai 1949, Mme Pintou, qui entre temps s’était rétractée, revient à la charge en accusant de nouveau Marie Besnard. Son « confident », Auguste Massip, s’en fait naturellement l e porte-parole près du Procureur de Poitiers auquel il adresse une plainte en bonne et due forme. A la suite de quoi le président Pageaud prescrit une information contre X.
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Le 11 mai, Léon Besnard est exhumé, en présence de Marie Besnard au cimetière de Loudun et les restes du corps exhumés sont envoyés au Professeur Béroud, Expert de la Justice à Marseille.
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Le 22 juillet, à la réception des rapports d’expertise, Marie Besnard est arrêtée et l’on exhume douze autres corps du cimetière de Loudun et de plusieurs autres cimetières de la Vienne. A leur tour, les restes exhumés prennent la direction de Marseille.
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Il faudra attendre encore deux ans et demi pour que :
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Le 20 février 1952, s’ouvre à Poitiers ce qui devait être le « Procès du Siècle ».
Au bout de quelques jours de débats au cours desquels le tragique, le comique et le ridicule s’entremêlent pitoyablement, ce procès est purement et simplement renvoyé pour supplément d’information.
On procède alors à une contre-expertise, confiée aux Professeurs Kohn-Abrest, Fabre et Piedelièvre.
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Fin janvier 1953, les trois professeurs déposent leurs conclusions. Mais ils ont au préalable éliminés six cadavres sur treize, estimant que le s expertises soumises à leur appréciation se contredisaient.
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Le 10 juin 1953, la Cour de cassation décide que Marie Besnard sera rejugée, non pas à Poitiers, mais à Bordeaux.
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Le 15 mars 1954 s’ouvre donc le « premier procès de Bordeaux » (il y en aura deux ).
Ce sera un procès d’experts à l’issue duquel Marie sera mise en liberté provisoire…après avoir payer une caution que Charles Trenet s’est offert d’avancer.
Mais Marie Besnard a déjà passé 58 mois en détention préventive, ce qui est unique dans les annales de la Justice.
Libre, Marie Besnard revient à Loudun et réintègretout naturellement le train-train de l avie loudunaise. Mais l’enquête n’est pas enterrée pour autant…
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Le 10 juin 1960 – Léon Besnard est mort depuis déjà 13 ans – Marie est convoquée à Poitiers par le Juge d’instruction Gaston qui auparavant a fait procéder à l’exhumation de plusieurs cadavres-témoins dans les cimetières de Loudun et de Saint-Pierre-de-Maillé.
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Le 17 juillet, on informe Marie Besnard que les « super-experts » Joliot-Curie, Savel et Truhaut, nommés à l’issue du premier procès de Bordeaux, ont déposé leur rapport.
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En novembre 1961, le « deuxième procès de Bordeaux » peut ainsi s’ouvrir. Mais pour se sortir d’une situation devenue inextricable, le Ministère public décide d’abandonner le « dossier scientifique » pourne retenir que le « dossier psychologique ».
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Le 12 décembre 1961, Marie Besnard est acquittée.
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Elle reviendra à Loudun, écrira ses « Mémoires » et mourra le 14 février 1981, après avoir, dans une sorte de pied de nez, fait don, de son corps … à la Science.
Quant au « héros » de cette affaire, le grand avocat Albert Gautrat, il mourra peu de temps après la conclusion du procès. Il s’était usé à démonter l’innocence de sa cliente. Pour la défendre et pour faire triompher la Justice, il aura tout simplement sacrifié dix années de sa vie.
Ainsi, abordée à Poitiers pour être le procès de la « Nouvelle Brinvilliers », l’affaire Marie Besnard se terminait par l’acquittement pur et simple de la « bonne dame de Loudun ».
Entre temps, des années s’étaient écoulées, marquées par des rebondissements spectaculaires et des controverses passionnées.
Mais si la « mise à mort » n’eut pas lieu, ce qui fut « l’affaire Marie Besnard » passera sans doute à la postérité car elle fut l’illustration des insuffisances du système pénal français et ne fut pas étrangère aux réformes qui, par la suite, remirent en question le pouvoir de l’expertise et les limites de la détention provisoire. Le procès Marie Besnard ne fut-il pas en fait celui de la Justice des années 50 ?
Ayant vécu ces débats historiques - je crois être le seul journaliste, avec Frédéric Pottecher, à avoir suivi les trois procès – il m’en reste une impression étrange, faite de doute et de révolte, mais aussi d’admiration pour ceux qui , à force de conviction profonde, de courage, de fougue et d’obstination, parvinrent à sortir de ses ornières boueuses un drame où le tragique côtoya trop souvent le scandale et le ridicule.
Près de quarante ans après, les faits se sont décantés, dégageant des impressions fortes, des anecdotes savoureuses…
Ainsi reste vivace le souvenir de cette atmosphère de corrida qui régnait à Poitiers, de cette foule exaltée criant « A mort ! » chaque fois que Marie Besnard apparaissait à l’audience. Celui de cette première journée du procès livrant l’accusée aux excès des photographes : une foire insensée, choquante, indigne d’un pays comme le nôtre où l’on vit l’un de ces reporters avides de sensationnel, perché sur la tribune, n’hésitant pas à mettre son postérieur sur le nez du Président pour mieux « fusiller » Marie Besnard.
Aveuglée par la multitude des flashes, celle-ci dut se protéger, les yeux en pleurs, ce qui donna le lendemain cette légende qui fit le tour du monde : « Devant ses juges, Marie Besnard n’a pu retenir les larmes du repentir ».
C’est d’ailleurs à partir de ce jour que l’accès aux audiences fut interdit aux photographes.. pour le plus grand bonheur des caricaturistes, beaucoup plus discrets. Et que dire du défilé des témoins qui amena le Président à conclure : « il n’y a aucune preuve formelle dans ce dossier, mais un faisceau de présomptions ».
Des présomptions qui rapidement se révélèrent n’être qu’un infâme ramassis de ragots.
Des ragots auxquels le rappel d’une autre célèbre affaire, «les possédées de Loudun » ne pouvait apporter qu’un surcroît de crédit.
Rappelons donc cette affaire qui, de nos jours encore, est une source d’inspiration féconde. Le grand musicien polonais Pendericki – pour ne citer que lui, n’en a-t-il pas fait récemment le sujet d’un opéra qui a remporté un vif succès dans le monde entier ?
Au 17ème siècle, Urbain Grandier était le curé de la paroisse Saint-Pierre de Loudun. Cet ecclésiastique mondain et libertin inspira une sorte de passion à la Mère Jean des Anges, Prieure des Ursulines de Loudun.
Celle-ci manifesta des troubles qui furent interprétés – les ragots ayant fait leur chemin – comme une possession. Une possession d’autant plus diabolique qu’elle gagna rapidement toutes les moniales des Ursulines. Accusé par la « Vox populi », Urbain Grandier fut condamné en tant que sorcier et brûlé vif en 1634. Un supplice qui ne mit point un terme aux troubles de la Mère Jeanne, pas plus qu’à ceux de ses ursulines. Plus tard, la Prieure s’estimant désenvoûtée, miraculée fit un pèlerinage à Annecy où elle reçut un accueil triomphal.
Le procès eut naturellement ses vedettes. Grisés par l’audience qu’on leur accordait et qui les plaçait au premier plan de l’actualité, sous les feux des projecteurs, certains témoins furent brusquement sortis de leur ronron quotidien.
Je me souviens des trois fossoyeurs et en particulier de l’un d’eux, extraordinairement pittoresque, donnant un relief incroyable au récit des macabres exhumations qui se déroulèrent tant au cimetière de Loudun qu’à celui de Saint-Pierre-de-Maillé.
Vedettes ou pas, à l’aise ou « coincés », mais en général endimanchés. On vit ainsi défiler les médecins, le commandant de gendarmerie… et puis les voisins, les amis et relations… et même le notaire que j’allais oublier.
Et parmi eux, tous les anciens amis – des « amis de trente ans » - devenus soudain ennemis qui , en voulant en rajouter, furent pris en flagrant délit de mensonge !
Et que dire des frères Massip, « obsédés graphomanes » ? Auguste surtout qui, lors des dépositions, s’embarqua, on ne sait pourquoi, dans un rocambolesque discours politique… au point d’être expulsé de la salle d’audience !
Enfin il y eut Madame Pintou, la postière de Loudun, à l’origine de « l’affaire »… Madame Pintou, la confidente de Léon Besnard agonisant. A Poitiers, on ne l’entendit pas. Par contre, on la vit à Bordeaux.
Petite, menue, nerveuse, tout de noir vêtue, vivant visiblement « le grand jour de sa vie " devant un auditoire prestigieux de juges, de savants, de journalistes qui buvaient littéralement ses paroles.
Elle s’en donna à cœur joie. Ce fut hallucinant ! Un instant seulement…car ce « témoignage capital » s’écroula pitoyablement. Quant au fameux Docteur Béroud, nous aurons l’occasion d’en reparler, un peu plus loin.
Mais au-dessus de tout cela, se dégage l’image grandiose d’une défense acharnée, admirable, bouleversante même, dont le combat demeurera longtemps encore l’un des « hauts faits » de la Justice française et tout à son honneur. Une défense dominée par l’immense personnalité de Me Gautrat, sincèrement convaincu de l’innocence de sa cliente et se battant de toutes ses forces, jusqu’à l’épuisement, pour que soit évitée ce qu’il appelait une monstrueuse erreur judiciaire.
Un combat souvent désespéré mais finalement victorieux.
Son numéro de prestidigitation qui ridiculisa le Professeur Béroud fut un morceau d’anthologie, un coup de théâtre qui assomma littéralement l’accusation. D’autant plus fortement que Me Hayot, qui secondait Me Gautrat, au prix d’un travail scientifique d’une extrême complexité, avait amorcé ce coup de grâce en démontrant les manipulations criminelles dont furent l’objet, entre Poitiers et Marseille, les bocaux contenant les restes des victimes présumées, soumis à l’expertise du pitoyable docteur.Tournant à la galéjade, le procès fut interrompu et renvoyé pour complément d’information.
C’est alors que commença la controverse scientifique.
Poitiers avait mis en évidence que l’affaire Marie Besnard dépassait la personnalité de la blême quinquagénaire, silencieuse maintenant sous sa mantille noire, devenue étrangère à son propre procès.
Bordeaux n’allait être en effet qu’une succession de débats sur l’arsenic, ses méfaits et ses maléfices. Des débats dans lesquels la défense allait se mêler avec une mâle assurance…parvenant même à mettre en difficulté, sur leur propre terrain, d’éminents scientifiques dont l’autorité paraissait solidement établie et suffisamment pour être à l’abri d’une remise en cause de leur savoir, voire de leur compétence.
Une vingtaine d’experts, de contres-experts et de super-experts, officiels ou officieux, membres savants de l’Académie de médecine, du pédologue au toxicologue, du médecin légiste au physicien, allaient s’échiner non seulement à exhumer, prélever, examiner, ré-exhumer les funestes débris, mais encore à gloser sur le sol des champs avoisinant les cimetières, sur les effets possibles des eaux de ruissellement pouvant drainer vers ces nécropoles un arsenic exogène, sur le tropisme moléculaire…
Des sujets de discussion dont le développement dépassait l’entendement de l’assistance, des journalistes, des jurés et vraisemblablement celui des juges eux-mêmes. On épuisa toutes les méthodes du temps, de Crivier à Marsh. On eut même recours aux connaissances de Joliot-Curie sur la radioactivité.
Tout cela devait durer neuf années… pour déboucher sur la conclusion que la « toxicologie n’avait pas beaucoup évolué depuis l’affaire Lafargue ! ». A cette époque déjà, Raspail et Orfila étaient en désaccord, l’un disant à l’autre :
« Mais mon cher confrère, vous devriez savoir qu’il y a de l’arsenic partout ; il y en a même dans le fauteuil du Président ».
Voici donc brossé à grands traits le « survol » de cette longue et mémorable affaire.
Maintenant revenons plus en détail sur les points essentiels, les grands moments de cette monstrueuse tragicomédie pour laquelle on a rédigé quelques 23 kilos de rapports en tous genres.
Le 22 juillet 1949, à 7 heures du matin, Marie Besnard est arrêtée par le Commissaire principal Nocquet de la Police judiciaire de Limoges. Elle est accusée d’avoir empoisonné son mari. La nouvelle fait l’objet de quelques lignes dans les faits divers des journaux locaux.
Mais bientôt le nom de Marie Besnard apparaît à la une des journaux parisiens et très vite la presse internationale s’en empare. Sa photo fait le tour du monde… et quelle photo ! tout de noir vêtue, Marie y apparaît avec un sourire satanique. Sur cette apparence, Marie est déjà condamnée par l’opinion publique.
On lui impute, sans la moindre hésitation, l’empoisonnement de 13 personnes, dont son père et sa mère. Horrible! Sordide ! et comme cela ne suffisait pas, les « braves gens » de Loudun, emportés par la surenchère d’un formidable « bouche à oreille » en arrivent à démontrer 25 victimes de l’ « empoisonneuse ». C’est que les rumeurs et les ragots, amplifiés par l’imagination, la jalousie et les petits comptes à régler sont passés par là.
Sans oublier le rôle peu reluisant que la Presse a joué dans cette dérive. Le journaliste que je suis et qui doit tant à cette noble profession se doit néanmoins de «balayer devant sa porte »… avec d’autant plus de tristesse que la course vénale au « scoop » est toujours d’actualité.
Mais pour prouver qu’il existe tout de même des journalistes conscients de leurs devoirs envers la déontologie qui régit la liberté d’expression, permettez-moi de vous lire la « confession » qu’un confrère m’a fait parvenir à la suite d’un article publié dans la N.R. (Nouvelle République) lors de la mort de Marie Besnard :
« Comme je vois , écrit-il, que ce procès ne t’a pas laissé insensible, je viens t’apporter mes considérations personnelles qui me paraissent avoir une certaine valeur, puisqu’avant de couvrir le procès de Poitiers comme correspondant de « Franc-Tireur »et d’un grand journal anglais, j’en avais suivi l’instruction pour « Le Libre Poitou ».
Je pense que, pendant toute l’instruction, les médias ont été d’un laxisme coupable…(que l’on peut évidemment comprendre, mais certainement pas excuser). Seul, à ma connaissance, l’écrivain Pierre Scize a eu le courage d’écrire, dans la revue « Hommes et Mondes » de mai 1954 : « Pendant sept ans, les plus modiques « grimauds de plume » ont pu essuyer leurs pieds sur elle (Marie Besnard) comme un vulgaire paillasson, prenant pour « argent comptant » les ragots, les rumeurs jusqu’aux fureurs partisanes qui inspirèrent certaines campagnes ».
Des phrases qui font mal…d’autant plus que dans l’expression « argent comptant » qu’utilise Pierre Scize on peut voir une allusion au trafic rémunérateur des « piges » versées à certains correspondants.
En effet, un pool de trois journalistes locaux, monopolisant l’information donnèrent à l’AFP, à France-Soir et au Parisien Libéré notamment, une version des faits qui excluait les questions que seuls quelques journalistes, traités avec mépris de « besnardistes », osèrent poser. Pour satisfaire la demande de publications friandes de sensationnel, ce pool de journalistes « pissa de la copie », exploitant le moindre ragot, puisant avec délectation leurs informations dans la boue … Et plus ils « pissaient » cette copie, plus elle leur rapportait.
Ce qui fut lamentable, c’est qu’ils bénéficièrent de la complicité (peut-être involontaire, encore que le procès de Poitiers eut tendance à prouver le contraire) d’un Juge d’instruction et d’un Commissaire, de grande valeur certes, mais bien trop jeunes et qui, par la suite, furent littéralement « fusillés » par la presse judiciaire.
Les propos de mon confrère et ceux de Pierre Scize devraient être lus et commentés dans toutes les écoles de journalisme, car ils contiennent un sérieux avertissement.
Le cas des « mauvais journalistes » ayant été réglé, revenons à l’enquête.
Passons rapidement sur le curriculum vitae de l’accusée : sa famille, son enfance, sa jeunesse, son premier mariage en 1927 avec le cousin Antigny dont elle devint une veuve sans histoire. Passons aussi rapidement sur les péripéties qui l’amenèrent à Loudun où elle épousa, en deuxièmes noces, Léon Besnard, un notable « ayant du bien ». Passons aussi sur la première rencontre de Marie avec Madame Pintou qui allait devenir « la grande amie de la famille ».
Disons simplement que Marie avait alors une vie calme et qu’elle consacrait beaucoup de son temps et de son argent à venir en aide aux malheureux. C’était « la Bonne Dame de Loudun ». Respectée, mais aussi quelque peu enviée et jalousée.
Dans cette période heureuse qui précède la mort de Léon, il convient de signaler un fait qui, pour certains, serait à l’origine de la « jalousie rentrée » que, sous le sourire, Madame Pintou nourrissait à l’encontre de Marie Besnard et qui, par voie de conséquence, serait à l’origine de cette ténébreuse affaire.
Il s’agit de la présence aux Liboureaux – un domaine appartenant aux Besnard – d’un prisonnier allemand – Alfred Dietz ou Addy – que Léon avait engagé comme ouvrier agricole.
Travailleur, intelligent, bien élevé, assez beau garçon, Addy plaisait beaucoup à Marie qui le choyait, voyant en lui le fils qu’elle n’avait pas eu. Mais Addy plaisait aussi également à Madame Pintou. Alors se tissa entre ces trois personnages une trame de sentiments ambigus qui allaient rapprocher, puis opposer sentimentalement les deux femmes.
Dietz n’est pas venu témoigner au procès. Mais, aux enquêteurs, il a juré ses grands dieux qu’il n’y eut jamais la moindre chose douteuse entre Marie Besnard et lui.
Par ailleurs, au cours du procès de Poitiers, on donna lecture deux lettres.
La première avait été écrite à Alfred par Madame Pintou le 8 août 1947 (donc avant la mort de Léon et la libération d’Alfred) et lui avait été remise lors d’un repas chez les Besnard. En voici le texte :
« Alfred, j’ai fait un rêve (et je peux dire que mes rêves se réalisent toujours). L’heure de votre libération avait sonné. Vous étiez gai et joyeux et nous, heureux de votre bonheur. Nous vous avions accompagné à la gare de Poitiers (avec l’auto de M.Besnard) et vous aviez pris le train qui vous ramenait en Allemagne, très, très vite. Votre maman était à l agare pour vous attendre, entourée de votre grande sœur, de votre petite sœur, de votre frère…
Bientôt Alfred ; très bientôt, je vous assure que ce rêve se réalisera. Nous vous le souhaitons bien vivement et tous les jours nous ferons une prière pour demander au Bon Dieu votre retour prochain. Nous garderons un excellent et fidèle souvenir de notre grand enfant auquel nous sommes très attachés et à qui nous souhaitons bien vivement tout le bonheur qu’il mérite. Signé : une grand’mère. »
La seconde, beaucoup plus prosaïque, écrite à Marie Besnard par Alfred après sa libération , disait simplement :
« Chère Madame Besnard, je suis bien rentré. Ma mère vous remercie pour la lapine que vous m’aviez donnée. Elle était encore vivante. J’espère que les foins sont rentrés. »
Fermons cette parenthèse avec peut-être le mystère qu’elle contient.
Et maintenant, venons-en à la mort de Léon.
Au terme d’un séjour aux Liboureaux, Léon, fatigué par une rude journée de labeur, absorbe une soupe réchauffée par Marie, puis se couche. Il ne se sent pas bien et vomit sans cesse. La douleur se faisant de plus en plus forte, on appelle le médecin de famille qui arrive aussitôt en compagnie d’un confrère. Tous deux auscultent le malade et se retirent dans la pièce voisine pour confronter leurs diagnostics. Marie les accompagne, laissant Madame Pintou seule au chevet de Léon.
C’est à ce moment que celui-ci lui aurait déclaré : « On m’a empoisonné ! Qu’est-ce qu’on m’a fait absorber ? J’ai vu qu’il y avait dans mon assiette un liquide sur lequel Marie a versé le potage. »
Cette confidence sera le point de départ de l’affaire.
Dans un premier temps, Madame Pintou fait part des doutes de Léon au Docteur Chatelet, le médecin de famille, qui aussitôt fait procéder à une analyse de sang, laquelle révèle la présence de 1,4 gramme d’urée…sans que la moindre trace de toxicité soit décelée. Mais cette dose d’urée est fatale et trois jours après – le 25 octobre 1947 – Léon Besnard rend l’âme. Le permis d’inhumer est délivré normalement.
Il n’y a donc pas d’affaire Besnard.
Mais Madame Pintou ne désarme pas, car c’est un sujet de conversation qui la rend intéressante. Tout naturellement, elle confie son « secret » aux frères Massip. Deux hurluberlus, surtout Auguste, un exalté qui n’hésite pas à écrire à tout le monde, y compris au Président de la République (ne vient-il pas d’écoper plusieurs mois de prison pour avoir adressé au Général De Gaulle une lettre jugée pour le moins injurieuse ?).
Cette fois, Auguste ne s’adresse pas à l’Elysée ; il se contente d’écrire au Procureur pour dénoncer Marie. Il s’ensuit l’ouverture d’une information contre X. Les gendarmes interrogent Madame Pintou…qui se rétracte en niant les propos qui lui sont prêtés. Les gendarmes de Loudun, qui connaissent bien leur monde et ont l’habitude des ragots cuits et recuits par la médisance, classent purement et simplement le dossier.
Toujours pas d’affaire Besnard.
Alors comment celle-ci a-t-elle pu voir le jour ? Là est le mystère. Plus exactement le scandale.
Il y a eu la relance obsessionnelle d’Auguste Massip.
Il y a eu aussi les « péchés de jeunesse » d’un Commissaire de 28 ans et d’un juge de 3 ans son cadet qui sont tombés sur cette affaire comme des oiseaux de proie (Quel tremplin possible pour leur carrière !).
Il y a eu surtout le recours à l’expertise. « Si Marie a mis de l’arsenic dans la soupe du brave Léon, se dit le Procureur, on en retrouvera forcément la trace dans les viscères du défunt ».
Mais le dossier est classé et il faut une raison légale pour le rouvrir et interroger à nouveau Madame Pintou. C’est alors que survient - providentiellement – le cambriolage de la postière, en son absence.
Les gendarmes enquêtent et constatent que rien n’a été volé…seuls quelques objets sans valeur ont été jetés par la fenêtre (comme pour attirer l’attention). L’alarme est donnée par les passants. La police intervient et l’inspecteur Normand rend compte dans son rapport qu’il n’y a rien de particulier à dire sur ce cambriolage…mais que, par contre, il a entendu Madame Pintou, la « victime », sur la mort de Léon Besnard.
« Mais – lui dira le Président lors de sa déposition à Poitiers – vous n’étiez pas chargé d’enquêter sur ce décès !».
Non bien sûr – répondra l’inspecteur quelque peu gêné – mais en vertu de l’article 8 du Code pénal, j’ai cru bon de….. »
Bref la police a utilisé ce « cambriolage-sans-cambrioleur » pour interroger Madame Pintou…. Afin qu’elle puisse libérer sa conscience ! »
« C’est la police qui a organisé ce cambriolage », tonnera Me Gautrat. Et c’est ainsi que le dossier a pu être ouvert à nouveau. Incroyable, mais vrai ! Lors du procès, le public, les journalistes et les jurés se déclareront scandalisés par de telles manœuvres policières.
Quoi qu’il en soit, une nouvelle information contre X est ouverte. On exhume les restes de Léon et on les met dans des bocaux qui sont expédiés au Dr Béroud, l’expert marseillais. A la réception de son rapport, on décide d’ouvrir d’autres tombes, douze en tout. La valse des bocaux commence. Il en part des caisses entières de Loudun. On se trompe dans les bordereaux d’envoi. L’un d’eux concerne 10 bocaux et le docteur-expert prétend en avoir reçu 11. On lui annonce une touffe de cheveux dans le bocal n°4, mais il croit les retrouver dans le bocal n°6 ! Délirant !
Béroud découvre des quantités phénoménales d’arsenic. Le juge Roger et lui sont en pleine euphorie. Ils tiennent « l’Affaire du siècle ». Plus de doute, Marie est coupable. Alors elle est arrêtée et emprisonnée. Pour obtenir ses aveux, le Commissaire Nocquet n’hésite pas à entrer illégalement dans sa cellule afin de la harceler et de la confondre. Sous le prétexte de l’empêcher de se suicider, on place es « moutons » dan sa cellule pour lui tenir compagnie. Ce sont en réalité des prostituées chargées de recueillir ses confidences. Une initiative scandaleuse, mais Marie continue de clamer son innocence.
Pendant de temps-là, le dossier se structure et se gonfle d’une fructueuse moisson de ragots. On retient même des lettres anonymes que seule Marie bien entendu aurait pu écrire. Il est même mentionné que 10 ans auparavant , le chien des Besnard avait été empoisonné (par Marie évidemment). Ce travail de ratissage va durer près de 3 ans.
La culpabilité de Marie ne faisant plus aucun doute, le procès de Poitiers tant attendu va pouvoir s’ouvrir le 22 février 1952.
C’est dans ce même Palais de justice de Poitiers, admirable bâtiment construit au 15ème siècle par le Duc de Berry, que Jeanne d’Arc, interrogée sur sa « mission » répondit à l’Inquisiteur qui lui demandait :
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Quel langage vous parlait Saint Michel ?
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Un langage meilleur que le vôtre.
Le Président Favart, assisté par les Conseillers Rousseau et Hugues dirigeait les débats. Le Greffier chargé de la lecture de l’acte d’accusation était M.Brossault. La partie civile était représentée par Me Grange et Me Lacan.
Pour assister au procès dans les meilleures conditions possibles, j’avais pris l’habitude de contacter dès la veille les responsables du service d’ordre. A Poitiers, cette initiative fut d’autant plus heureuse que l’officier de police chargé de cette importante fonction portait le nom de Cimetière…Cela ne s’invente pas , surtout lorsqu’il s’agit d’un procès concernant quelque treize cadavres ! Pour le caricaturiste, ce fut une aubaine qu’il s’empressa d’exploiter : le brave homme fut « croqué » sur le champ pour que sa « binette » puisse être publiée dès le lendemain matin dans la NR (« la Nouvelle République ») avant l’ouverture du Palais de Justice.
Plaisanté, mais heureux néanmoins d’être mis en vedette, M.Cimetière voulut connaître l’auteur du dessin (qui se fit une joie de lui offrir l’original…). Et c’est ainsi que, sous son regard bienveillant, j’ai pu m’installer confortablement dans un renfoncement enter le box de l’accusée et celui des jurés, aux côtés de la défense. La Place idéale pour voir défiler devant soi les témoins, les enquêteurs et les experts, pour les observer et les "saisir au vol ».
Une place idéale qu’auraient pu m’envier les représentants de la presse nationale, voire certains écrivains en renom venus assister au procès et plus encore l’illustrissime dessinateur du Figaro Sennep, qui a dû se demander qui pouvait bien être cet inconnu que l’on accueillait avec tant de sollicitude.
Mieux encore, cette position privilégiée m’a permis d’assister à un curieux manège de la défense qui passa inaperçu (pas le moindre mot dans la Presse) et qi eut une certaine influence sur le déroulement du procès.
En effet, pour sauver Marie Besnard, Me Gautrat devait contrer une accusation essentiellement basée sur les résultats d’expertises effectuées par d’éminents scientifiques. Et l’on assista à un duel étonnant au cours duquel le grand avocat réussit à mettre en difficulté, sur leur propre terrain, les savants qui lui étaient opposés.
Quel diable d’homme ! D’où tenait-il un tel savoir ?
La réponse réside tout simplement dans la présence à ses côtés, juste devant moi, d’un tout petit homme, on ne peut plus discret, qui dissimulait sous une apparence insignifiante un véritable « puits de science » dans lequel Me Gautrat allait puisait abondamment. J’appris par la suite que ce « conseiller personnel « était un biologiste allemand, le Professeur Rhoen, une sommité de la toxicologie.
Mais comment ce précieux renfort a-t-il pu intervenir dans les débats ? Cela se fit d’une manière astucieuse, en utilisant un stratagème habilement mis au point. Lorsque dans ses duels « au sommet » avec des spécialistes bien décidés à ne pas perdre la face, Me Gautrat se trouvait en difficulté, son premier assesseur, Me Hayot, prenait aussitôt la relève en multipliant – volontairement – les maladresses, … ce qui ne manquait pas de susciter de vives réactions du Président et des parties civiles… et dans le brouhaha qui s’ensuivait, Me Gautrat mettait à profit cet « intermède providentiel » pour se « ressourcer » près du fameux professeur. Une fois en possession de nouvelles « munitions », Me Gautrat s’appuyait sur son pupitre, la tête entre les mains. C’était le signal qu’attendait le second assesseur Me Ducluzeau, le bâtonnier local, pour intervenir en calmant son jeune confrère et en présentant d’humbles excuses aux « Messieurs de la Cour ».
Lorsque le calme était revenu, Me Gautrat pouvait repartir à l’assaut. Et c’est ainsi qu’il triompha !
Je vous ai parlé de l’ambiance : une ambiance de corrida et de mise à mort ressurgie d’un autre temps. Je vous ai également parlé des photographes et de leurs excès. Le tout sous le regard d la presse nationale et internationale. Je reviendrai uniquement sur le « coup de théâtre » provoqué par la défense et qui reste dans les mémoires comme le point culminant de ce procès hors normes. Une sorte de chef d’œuvre. Souvenez-vous !
S’adressant au docteur-expert, Me Gautrat lui pose la question suivante :
« Docteur Béroud, vous avez dit et écrit que votre œil était infaillible lorsqu’il s’agissait de conclure à la présence d’arsenic lorsque l’anneau de Marsh apparaissait. Eh bien, Docteur, (Me Gautrat sort alors des manches de sa robe noire plusieurs tubes à essais). Voici trois tubes. Sur chacun d’eux vous voyez l’anneau de Marsh. Montrez-moi ceux qui contiennent de l’arsenic ! »
Sans la moindre hésitation, le Dr Béroud en désigna deux. Hélas pour lui, aucun des tubes ne contenait de l’arsenic !
On imagine aisément l’effet produit par ce coup de théâtre. D’autant plus violent que Me Hayot venait de contester le sérieux de cette expertise en dénonçant les manipulations criminelles des bocaux. C’était trop beau pour la défense. Ridiculisé, le Professeur Béroud se retirait piteusement et un communiqué de presse nous apprenait le lendemain matin qu’il s’était fracturé un pied en ratant une marche à la sortie du Palais. L’accusation s’écroulait lamentablement.
Les deux procès qui suivirent furent en quelque sorte le procès d’une justice littéralement empoisonnée par cette affaire. Les débats étaient dirigés par le Président Nussy-Saint-Saëns, les autres rôles étant tenus par le Procureur générale De Robert et l’Avocat général Guilmain. On vit apparaître de nouveaux experts : les Professeurs Lépée, Vitte, Truhaut et Savel qui s’affrontèrent en champ clos. On émit l’idée que l’imprégnation d’un corps pouvait fort bien se produire dans un cimetière entouré, comme à Loudun, de champs bourrés d’engrais contenant de fortes proportions d’arsenic…Il fut également question de la mécanique des sols … En définitive, il était devenu impossible de savoir si la présence d’arsenic constatée était survenue avant ou après la mort. D’une Cour d’assises, on était passé à l’amphi d’une Faculté de médecine !
Dans sa plaidoirie finale, Me Gautrat fut une fois encore d’une grandeur et d’une noblesse qui suscitèrent l’admiration générale. On a dit à son sujet qu’ « il avait fait le don de sa vie pour défendre une cause devenue sacrée pour lui ». Nous étions en présence d’un saint home, en présence de la Vérité. J’ai eu l’occasion d’entendre plaider les plus grands ténors du Barreau : Maurice Garçon, Torrès, Moro-Giafferi… Aucun d’entre eux, à mes yeux, n’a atteint un tel sommet, une telle force de conviction. Ses répliques foudroyantes impressionnèrent les juges et les jurés, les journalistes et le public… jusqu’aux accusateurs qui subitement dans cette affaire se rendaient compte qu’ils étaient devenus les accusés.
Un véritable triomphe que paracheva l’étude psychologique de Me Favreau-Colombier, une femme d’une rare intelligence qui tint avec brio à Bordeaux le rôle essentiel de « défenseur local » tenu à Poitiers par Me Ducluzeau. Quelle ne fut pas la surprise de l’auditoire lorsqu’elle fit la remarque suivante, aussi ingénieuse qu’inattendue :
« Mais au fait, Madame Pintou a bien été la dernière personne qui s’est trouvée en présence de Léon Besnard ! Elle a aujourd’hui 75 ans et personne n’a cherché à savoir de quoi sont morts depuis 20 ans son époux ainsi que certains membres de sa famille et de son entourage. Pourquoi n’a-t-on jamais posé cette question ? Une question qu’on pourrait bien poser à n’importe qui d’entre nous ! Y avez-vous songé ? »
« Mais Bon Dieu, c’est bien sûr ! » aurait dit Maigret
Gêne et stupeur générales. Le renversement de la situation était spectaculaire. Tout s’écroulait.
Heureusement, en face des avocats, il y avait le procureur De Robert. Ce haut magistrat – lin d’inspirer une condamnation – laissa la porte ouverte aux jurés… après leur avoir rappelé que « l’expertise est un acte d’humilité du juge… » ; ajoutant à l’adresse des experts : « La science n’est pas absolue, .. Ce qui semble vrai aujourd’hui peut se révéler faux demain… Faisons donc en sorte que l’on en finisse avec des pratiques qui ne nous honorent pas et laissent après le procès le sentiment qu’on n’a pas tout fait pour rendre la justice infaillible… »
Ce procès avait duré trois semaines. Le moment du verdict étant venu, nous nous demandions de quelle couleur il serait. Rien n’avait été éclairci dans cette affaire. Bien au contraire. Me Gautrat, à bout de forces, était livide, Me Hayot fébrile et Me Favreau-Colombier inquiète. Seule Marie Besnard – cette femme que les psychiatres avait déclaré « anormalement normale » - restait paisible. « Pourquoi êtes-vous inquiets ? » ne cessait-elle de répéter à ses avocats. « Il est impossible que je sois condamnée, puisque je n’ai rien fait de mal ».
Lorsque l’acquittement fut prononcé, on se mit soudain à penser à ce qui serait arrivé si l’acte d’accusation n’avait porté que sur la seule mort de L’éon Besnard. Au bout du compte, l’excès de zèle accusatoire a sans doute sauvé Marie Besnard, sans toutefois lui restituer ses années perdues. Treize cadavres, c’était vraiment trop !
Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis.
Mais lorsque l’on se remémore ces évènements et que l’on assiste aujourd’hui à d’autres « affaires » donnant également libre cours aux mêmes excès de pouvoir et aux mêmes manquements à la déontologie la plus élémentaire – qu’il s’agisse des juges ou des journalistes, sans oublier les hommes politiques – on est tenté de leur crier : « Honnêtes gens, Souvenez-vous de l’Affaire Marie Besnard »
POSTLUDE
Je ne saurais clore l’évocation de ces grandes heures de la Justice française » sans remercier, comme il se doit, notre ami Gilbert Millot qui en fut à la fois le « commanditaire » et le «réalisateur ».
Le Commanditaire, parce que le texte a été rédigé et les dessins exhumés, puis complété, pour les besoins d’une causerie prononcée, à sa demande le 13 janvier 2000 à Touraine Inter-âges, université dont les membres m’ont réservé un excellent accueil. Qu’ils en soient eux aussi remerciés.
Le réalisateur, puisqu’il a apporté tout son soin à la dactylographie et à la mise en page.
Gilbert, un bien sympathique « rédacteur en chef », dont le grand mérite aura été de faire sortir de sa torpeur pour reprendre du service un retraité se reposant avec délices dans le « hamac des souvenirs ». » Sans lui, je n’aurais certainement pas fait l’effort de revenir ainsi sur cette affaire, qui pourtant a joué un rôle déterminant dans l’évolution de ma carrière, en me faisant passer de l’état d’attaché d’administration centrale, « journaliste-pigiste » à celui de Journaliste-dessinateur de presse à part entière à la Nouvelle République. Une évolution qui apparaît dans les signatures : de celle un peu énigmatique des débuts (Em/Té) convenant à une semi-clandestinité, à l’officielle (de forme plus arrondie comme son auteur qui n’a plus besoin de se cacher) et au paraphe discret (voir page 15) qui a peut-être ma préférence.
Avec cette manière de diriger les hommes qui n’appartient qu’à lui, Gilbert a su m’amener en douceur à ce devoir de mémoire qui m’a permis de manifester à la « Bonne Dame de Loudun », cette forme de reconnaissance particulière que je lui devais.
Maurice Tournade